
Bernard Maris
par Annie L. Cot, Centre d’économie de la Sorbonne, Université Panthéon-Sorbonne
Annie.Cot@univ-paris1.fr
Triste privilège. Avant Bernard Maris, assassiné lors de l’attentat contre les journalistes et dessinateurs de Charlie Hebdo, jamais un économiste n’a été tué sur le territoire français en raison de ses écrits ou des journaux dans lesquels il publiait.
Né à Toulouse en 1946, fils de républicains espagnols, réfugiés en France et engagés dans la Résistance, Bernard Maris soutient sa thèse de doctorat en sciences économiques intitulée La distribution personnelle des revenus : une approche théorique dans le cadre de la croissance équilibrée en 1975, sous la direction de Jean Vincens, à l'université Toulouse-I. Il y est nommé maître de conférences, puis, après l'agrégation, devient professeur à l’Institut d’études politiques de Toulouse en 1994 et rejoint l’Institut d’études européennes de Paris VIII à partir de 1998. Il consacre deux essais à Keynes, dont il estime qu’il le sauve de «la tristesse dans laquelle [le plonge] l’économie orthodoxe» [Bernard Maris, cité par Philippe Frémeaux, « Adieu à Bernard Maris », Alterecoplus , 8 janvier 2015] : Keynes ou l'économiste citoyen, en 1999, et Capitalisme et pulsion de mort, avec Gilles Dostaler, en 2009. Il publie d’autres ouvrages en économie, souvent hétérodoxes, écrits dans un style acéré (parmi lesquels Éléments de politique économique : l'expérience française de 1945 à 1984, en 1985 ; Des économistes au-dessus de tout soupçon, en 1990 ; Les Sept Péchés capitaux des universitaires, en 1991; Ah Dieu ! que la guerre économique est jolie !, en 1998 ; puis les deux volumes d’un Antimanuel d'économie en 2003 et 2006).
En 2011, le président du Sénat le nomme au Conseil général de la Banque de France.
Parallèlement à sa vie universitaire, il mène plusieurs carrières.
Romancier, il publie Pertinentes questions morales et sexuelles dans le Dakota du Nord, en 1995, à partir de son expérience d’enseignement à l’université d’Iowa, où l’avait envoyé Jean-Jacques Laffont ; L'Enfant qui voulait être muet, prix Leclerc des libraires, 2003 ; Le Journal, en 2005.
Essayiste, il analyse, avec Georges Vigarello, la peur dans les sociétés modernes (Gouverner par la peur, 2007). Il consacre un bel essai aux relations entre Maurice Genevoix et Ernst Jünger, tous deux combattants dans les tranchées pendant la Grande Guerre (L’Homme dans la guerre. Maurice Genevoix face à Ernst Jünger, 2013). Il y a quelques mois enfin, il publie une analyse de Houellebecq économiste.
Il participe également à trois films : en 2008 il intervient dans un documentaire québécois sur le libéralisme économique, L'Encerclement de Richard Brouillette. En 2010, il tient le rôle de « l’économiste » dans Film Socialisme de Jean-Luc Godard. En 2014, il sert de conseiller historique à Olivier Schatzky sur le tournage de la série Ceux de 14, adapté de l’œuvre de Maurice Genevoix
Journaliste reconnu, enfin, il intervient sur France Inter, I-télé et France 5. Il écrit dans Le Figaro Magazine, Le Monde, Marianne, Le Nouvel Observateur, Alternatives Economiques et Charlie Hebdo. Il en devient directeur adjoint de la rédaction. Il y est assassiné le 7 janvier 2015, avec Wolinski, Cabu, Charb, Tignous, Honoré et Elsa Cayat [Avec aussi Mustapha Ourrad, le correcteur de Charlie, Michel Renaud, organisateur de la biennale du Carnet de voyage de Clermont-Ferrand, Frédéric Boisseau, agent d’entretien, et deux policiers, Franck Brinsolaro et Ahmed Merabet].
En 1995, il avait reçu le titre de « meilleur économiste de l'année » attribué par la rédaction du Nouvel Économiste. Une sélection de ses chroniques dans Charlie Hebdo, signées « Oncle Bernard », a été publiée en 2013 sous le titre Journal d'un économiste en crise.
Une journée d'hommage à Bernard Maris se tiendra le 21 mars prochain à Toulouse, organisée par l’IEP de Toulouse, l'université Toulouse 1 et le laboratoire de recherches qu’il a dirigé dans les années 1990, le LEREPS.